Cet article est le fruit d’un entretien avec une jeune cadre qui subit depuis quelques semaines des attitudes et comportements « non appropriés » de son responsable.
Quelques exemples concrets :
Il lui avait demandé de présenter, à l’occasion d’une réunion, un projet sur un nouveau processus. Louise (nous avons changé le prénom), avait bâti sa présentation sur sa recommandation et à sa demande lui a transmis cette dernière. Le jour venu de sa présentation il l’a laissé parler deux minutes puis s’est approprié son travail et a poursuivi la présentation du projet et ses réalisations à sa place.
Il expédie des mails à des heures surprenantes, minuit, une heure du matin, le vendredi soir pour un travail à rendre le Lundi matin avant 9 heures…
Plus des entretiens marathons où le monologue est roi sur des sujets de management où il tente de culpabiliser son interlocutrice sur des sujets non opérationnels. Par exemple il expliquait qu’elle devait inviter chez elle son équipe à un barbecue et pourquoi il fallait pratiquer de la sorte.
Louise jeune femme de 32 ans s’est vue appelée « jeune fille » à l’occasion d’un échange avec ce manager.
Membre d’un talent pool de son entreprise, bien notée, manageuse expérimentée et reconnue, produisant des résultats robustes elle donne l’impression de douter et commence à perdre ses repères.
Sa question comment faire ?
Avant de répondre à la question voilà quelques remarques que m’inspirent les anecdotes édifiantes racontées.
1.
La vraie signification de la directivité
Louise sachez que le mangement est, parfois, un jeu de miroir où le manager projette sur son environnement ses certitudes fondées sur une histoire personnelle.
Ce manager a peu confiance en lui et donc peu confiance en son environnement ce qui explique, mais n’excuse pas, cette tendance à donner des directives nombreuses, précises, où non seulement l’objectif est précisé mais également comment le faire.
Naturellement, ce type de fonctionnement entraînera à terme, une démotivation de l’encadrement intermédiaire qui ne pouvant s’approprier les moyens pour faire, finiront par renoncer à toute initiative. Si être directif est plutôt nécessaire quand on s’adresse à des managers débutants qui ont besoin de ces normes pour avancer (uniquement au tout début de leur prise de poste, très vite il faudra les mettre en situation d’autonomie) ; cette attitude est clairement contre-productive avec des managers intermédiaires ayant de l’expérience.
Le management consiste justement à adapter ses méthodes à son équipe et son niveau de maturité. C’est une question d’équilibres et de dosage. Dans votre cas ce type de management n’est pas le bon, puisque vous êtes autonome.
S’attribuer le travail de ses collaborateurs, ne pas leur laisser la parole, les interrompre, outre un manque de politesse élémentaire dénote une attitude egocentrique (voir article sur l’EGO) ; votre manager manque cruellement de maturité et de réflexes managériaux élémentaires. Permettre aux collaborateurs de présenter leurs projets est une reconnaissance et plutôt une bonne idée, les couper et s’approprier ce travail confine à la caricature de ce qui ne faut pas faire.
2.
Là où commence la manipulation
Un manager peut déléguer certaines tâches ; il doit s’assurer au préalable que ce qu’il délègue ne relève pas de son cor business. C’est-à-dire ce qu’il doit faire lui seul impérativement. Par exemple un manager de manager ne doit pas déléguer l’animation des réunions de services où se prennent les décisions opérationnelles de son service ; de même il ne peut pas déléguer la définition des ambitions et objectifs etc.
Nous savons tous également qu’il doit veiller à donner les moyens à son collaborateur de réaliser la mission déléguée en donnant des moyens, les informations nécessaires, du soutien si besoin.
Dans le cas présent, nous sommes en présence d’un manager de manager qui « délègue beaucoup et fait peu lui-même », en donnant des directives précises sur le quoi et le comment.
C’est le début de malentendus à venir, de mon point de vue. Trop déléguer c’est en définitive ne pas assumer de responsabilité. Vraisemblablement ce manager sera le roi de la défausse en cas de problèmes expliquant que ses instructions n’ont été suivies.
D’ailleurs, l’une des caractéristiques des manipulateurs, c’est la sur communication. Des mails très structurés (en apparence) mais souvent avec une phraséologie susceptible d’interprétations à géométries variables. Le manipulateur doit pouvoir retomber sur ses pieds. Des entretiens sous forme de monologues longs et fastidieux où le manipulateur essaie de convaincre en « soulant » de mots son interlocuteur. De guerre lasse les interlocuteurs abandonnent le terrain, donnant, au manipulateur l’illusion de les avoir convaincus qu’il a raison.
Des objectifs fixés qui tiennent sur de nombreuses pages avec force détails qui finissent par générer une impossibilité de réaliser tout (trop) de priorités énoncées. Louise s’est vue ajouter des objectifs à ses objectifs annuels déjà atteints qui tenaient sur 4 pages additionnelles…
La manipulation est une arme de faible ; c’est tenter d’avoir une influence sur ses collaborateurs sans pouvoir assumer les caractéristiques d’un leader. Vision, entraînement, responsabilité, puissance, travail, motivation, compétence transmise, enthousiasme généré dans les équipes, adhésion au changement, abnégation, protection de ses équipes etc.
D’ailleurs l’expression « jeune fille » est un carton rouge en termes de sexisme en entreprise. Quand on y réfléchit bien c’est une tentative de prise de pouvoir sur l’autre, d’emprise. C’est un élément de plus qui démontre que Louise est entrée dans un univers où le harcèlement moral n’est plus très loin.
En résumé je dirais que ce manager est certes directif mais surtout peu compétent dans le fond, a peu confiance en lui, est manipulateur et toxique pour toutes celles ou ceux qui peuvent le mettre en danger. Les jeunes cadres compétents, en initiatives, sont pour ce manager issu de la base qui a monté les échelles de la hiérarchie 1 par 1 des menaces, en tout cas il les perçoit comme tels.
Donc la structure va avoir, très rapidement des problèmes.
3.
Que faire ? Dans quel ordre et comment ?
Doit-on provoquer un contact direct avec un entretien avec le manager ?
La réponse est pourquoi pas mais dans un second temps. Pourquoi ?
Dans le cas présent, trop de caractéristiques anormales en trop peu de temps ; le contact direct est souvent la bonne première chose à faire face à un manager de bonne fois qui cumule quelques maladresses étalées dans le temps et dont manager et collaboratrice doivent parler afin de maintenir la bonne dynamique d’échanges.
Dans notre cas, il s’agit d’un manager « expérimenté » qui cumule de manière concentrée trop de travers que les coachs connaissent bien. Les managers avec ce profil sont dans l’incapacité de se remettre en question et vont interpréter cette démarche comme une agression personnelle, une remise en cause inacceptable de leur autorité, voire de leur compétence. Ce type de démarche marquera, sur la durée, une accélération de ses mauvais aspects contre le collaborateur trop transparent et animé de la volonté de bien faire.
- Rencontrer le n+2 immédiatement
L’expression « jeune fille » n’est pas acceptable et ne doit pas être acceptée. Les modifications d’objectifs en cours d’année, les mails à des heures non légales etc. La structure doit être informée. C’est au n+2 de gérer la situation et de recadrer le manager sans « dénoncer sa source ».
Un canal de communication doit exister en ligne directe sans by pass mais un canal de communication humain afin de permettre au N+2 et à la collaboratrice d’évaluer au fil de l’eau la situation. Par expérience j’ai remarqué que plus la situation est gérée en amont et moins les risques psycho sociaux se développent. Un bon travail permet souvent de permettre au manager de se régler dans sa relation avec une collaboratrice qui commençait à mal évoluer.
- Adopter une attitude ferme sur les principes et être rassurant sur la forme.
Sur la forme : plutôt qu’un entretien de face à face où tous les problèmes seront posés sur la table je préconise d’arriver au même résultat mais de manière opportuniste ; c’est-à-dire adopter face à chaque situation une réponse et un dialogue adaptés.
Déjà sur le comportement général ; la collaboratrice doit faire comprendre à son manager qu’elle là pour remplir sa mission, qu’elle n’a rien contre lui, qu’elle le reconnaît comme son manager et que son avis est important. Qu’elle est coopérative afin de l’aider à remplir sa mission. Rien dans son attitude où ses propos ne doit donner le sentiment à son manager qu’elle remet en cause sa compétence ; ce dernier manquant de confiance en lui.
Sur le fonds : elle devra mettre des repères assez clairs, calmement sans emphase ni polémique.
La tonalité des entretiens devra être une tonalité d’échanges ouverts et informatifs sans remise en cause personnelle.
Concernant les mails à des heures indues : « vous savez je lis mes mails aux heures ouvrées, donc sachez que j’en tiendrai compte dans ce laps de temps, ne soyez pas étonné si vous n’avez pas de réponse au-delà ».
« Concernant les demandes de travaux le vendredi soir pour le lundi matin : « Sachez qu’outre le fait que je risque de ne pas en avoir connaissance du fait de mon organisation calée sur un bon équilibre temps de travail et de repos ; si vous souhaitez que je vous délivre un résultat de bonne qualité, comme vous le souhaitez, il faudra me donner un délai raisonnable.»
« Jeune fille » Sachez que je ne me sens pas à l’aise avec cette expression que je ressens comme dévalorisante même si j’imagine que vous ne l’avez pas dite avec une intention de nuire.
Concernant l’invitation à intervenir en réunion pour ensuite retirer la parole : « pourquoi m’avoir demandé d’intervenir, si c’était pour m’interrompre ? »
En fonction de sa réponse, vous pourrez louise, expliquer que vous l’avez mal vécu, et qu’à l’avenir s’il vous donne la parole il vous la laisse selon les modalités et durée initialement convenus.
Concernant les leçons de morales sur des « leçons managériales » décalées : je fais allusion à sa diatribe sur l’obligation d’inviter ses collaborateurs chez soi régulièrement pour des barbecues. Là il conviendra de couper court à la communication au bout de 2 minutes. « Excusez-moi j’ai bien compris ce que vous avez dit, je vais y réfléchir ; mais j’ai un client qui entre dans mon bureau, j’ai un appel urgent d’un client… »
L’objectif est de se préserver de ses monologues longs et fatigants qui n’ont que pour objectif à votre manager de se réassurer et de tenter « de force et à l’usure » d’avoir une emprise sur vous.
Cette méthode est à utiliser pour tout ce qui touche à des sujets or l’opérationnel.
Bien évidemment libre à vous d’inviter ou non vos collaborateurs. Il est des sujets où, or vos obligations purement professionnelles, vous êtes libres de faire ou de ne pas suivre ce type de « recommandations ».
Concernant les mails un peu trop longs et qui sont des justifications préventives ; il faut répondre, par écrit en demandant des précisions et des clarifications sur tout ce qui serait sujet à interprétations.
« Afin de m’assurer de bien répondre à votre attente pouvez-vous préciser tel ou tel point ». Bien sûr conservez ces mails.
Concernant les objectifs ajoutés en cours d’année très longs : « pouvez-vous m’éclairer sur cette nouvelle procédure que j’ai du mal à réconcilier avec les règles internes de l’entreprise où les objectifs sont fixés annuellement ? Pouvez-vous me dire quel impact cela aurait-il sur mon bonus et mes évaluations annuelles ? »
En fonction des réponses vous pourrez prendre date auprès de la DRH de votre entreprise et son n+2 afin d’anticiper, peut-être un problème à venir.
4.
Savoir dire non
et ne pas avoir peur du conflit
Dans la vie, même professionnelle, il faut éviter de se dire :
« Si j’avais su j’aurais agi différemment… »
Souvent par conformisme de comportement, peur du conflit, la sempiternelle ritournelle « ne faisons pas de vague », beaucoup de collaborateurs ou collaboratrices acceptent par petites dérives successives beaucoup de choses inacceptables.
Nous sommes élevés ainsi, pas d’histoire, pas de conflit, respect des figures d’autorité.
Que l’on soit bien clair je ne prône pas l’opposé.
Les structures managériales sont également responsables des dérives avec ces pratiques de la relativisation, la défense des managers face à leurs équipes « quoi qu’il en coûte », l’absence d’action et l’inertie face aux dérives qui produisent burnout, dépressions, démissions, démotivations, harcèlement…
Si les coût directs sont bien maîtrisés et gérés dans les grandes entreprises les coûts cachés dont le mauvais management fait partie ou à l’opposé l’embauche des mauvaises personnes au mauvais endroit sont, par contre, très largement sous-estimés.
Si après avoir fait tout ce que vous pouviez pour gérer cette situation :
- Qu’objectivement vous faites bien votre travail et que vous répondez parfaitement aux besoins de votre mission.
- Que vous n’avez jamais dépassé aucune ligne jaune ni sur le fond ou la forme.
- Que vous avez loyalement et avec intégrité prévenu qui devait l’être,
Il y a un juge de paix qui ne trompe pas ; comment vous sentez vous ? Si vous commencez à cogiter, perdre confiance en vous, vous sentir mal selon l’expression c’est que vous êtes victime d’une manipulation pour le moins.
Si en plus les choses n’avancent pas, et que votre contexte hiérarchique ne bouge pas vous avez deux familles d’options :
- La fuite : demande de mutation, la démission, dépression, burnout…
- L’affrontement : courrier à la direction générale argumentée et votre DRH en leur demandant de réagir ; vous pouvez très bien, dans un second temps, avoir recours à un avocat afin de poser factuellement les éléments de ce qui commencera, à la longue, à devenir un harcèlement moral.
Bien évidemment avec ce hiérarchique manipulateur et toxique il conviendra de lui dire clairement verbalement et par écrit que vous n’accepterez que des communications liées aux nécessités du service en attendant que les bonnes instances tranchent le conflit.
Les victimes ont peur du conflit, rarement les bourreaux.
Le silence protège qui selon vous ?
Conclusion
Il est très certainement difficile d’être un bon manager. Malheureusement cette mission magnifique est ternie par beaucoup trop de petits patrons qui confondent autorité et autoritarisme. Délégation et inactivité personnelle.
Il est plus facile d’imposer que de convaincre, de jouer de son galon que de motiver, former, informer, soutenir, transférer ses compétences.
Personne n’est obligé à rien :
- Ni les structures qui parfois nomment par défaut
- Ni les collaborateurs (trices) à devenir manager s’ils ne se sentent pas d’intérêt ni de compétence pour cette mission.
On ne devient pas manager parce qu’on a été nommé ; c’est un métier qui nécessite formation et accompagnement.